Le Dansoir Hors-les-murs : Saporta / Sam Levin – Le studio photographique en question
28 février 2020 à 15 h 00 min - 12 mars 2020 à 19 h 30 min
IGDA 2.0
‘Le studio photographique en question’Dans le cadre du double événement Karine Saporta à IGDA 2.0 et à Église Vieux Saint Sauveur Caen,
Gilles Désiré dit Gosset, directeur de la Médiathèque de
l’architecture et du patrimoine (MAP), le Label Karine Saporta et toute l’équipe d’IGDA 2.0 vous invitent à l’exposition
DU VENDREDI 28 FÉVRIER AU JEUDI 12 MARS
VERNISSAGE LE VENDREDI 28 FÉVRIER À PARTIR DE 18H30
Exposition produite par la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine en partenariat avec la Maison Robert Doisneau (Gentilly)
C’est l’accès aux labyrinthes du fantasme dans ses dimensions les plus érotiques et les plus païennes que favorise selon Karine Saporta le travail en studio. Pourtant… le photographe travaille dans son studio à l’instar du peintre de la Renaissance… dans son atelier. Entouré d’une équipe. Il y est rarement seul à l’ouvrage. Complices de sa transe, aides, assistants, costumiers maquilleurs se pressent et scrutent dans ses moindres détails l’image encore vivante en passe d’être prise et comme capturée. Le travail de prise de vue met en œuvre tout un arsenal technique dont le succès de l’image est fortement dépendant. Avec son équipe, le photographe en son studio comme en son laboratoire cherche et invente. De l’élaboration des détails de la mise en scène et de l’expérimentation authentique ne peut se passer l’alchimie du ravissement « esthétique ».
Le travail de Karine Saporta s’inscrit dans le droit fil de ces grands photographes surréalistes dont elle suit l’enseignement lors de ses études aux États-Unis (Ralph Gibson, Duane Michals en particulier). Karine Saporta, qu’elle réalise ses prises de vue en extérieur ou intérieur, établit depuis ses débuts un parallèle entre le cadre photographique et le cadre de scène. Rien d’étonnant donc à ce que l’extraordinaire studio photo de la chorégraphe/photographe s’apparente à un théâtre pour lequel elle fait réaliser des décors, fonds photographiques, accessoires, coiffures, maquillages, peintures sur corps très sophistiqués. Ainsi construit-elle l’image avant même d’installer les conditions de la prise de vue, dans son imaginaire prolixe. `
À travers cette exposition qui préfigure le festival photographique “Vues de l’esprit” dédié à la photo de création prévu sur le territoire normand en juillet-août 2020, Karine Saporta, en partenariat avec la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine a souhaité rendre hommage aux deux photographes du studio Levin.
Des années 30 où ils photographient la vie cinématographique jusque dans les années 60 où ils travaillent de manière étroite avec les disques Barclay (pour illustrer les fameuses “pochettes de disque”) : Sam Lévin et Lucienne Chevert réalisent une œuvre colossale, artistiquement et historiquement incontournable constituée de quelques 750 000 clichés. C’est à travers leurs yeux et leurs inventions que nous regardons encore bien des icônes du vingtième siècle.
En présentant des images non recadrées, cette exposition nous invite à comprendre la nature véritable d’un métier et d’une pratique. Négatifs et Ektachromes déploient sous nos yeux toute une grammaire d’intentions. Leurs hors-champs nous permettent de comprendre le contexte des prises de vue, de remonter à l’instant même où le modèle se révèle, de coller au plus près de l’idée du photographe opérant en studio.
LE STUDIO LÉVIN
L’aventure Lévin débute en 1934 à Paris dans un appartement de la rue Saint-Georges. C’est dans son domicile où le salon a été transformé en atelier de prise de vues que Sam Lévin reçoit ses modèles qu’il a d’abord rencontrés sur les tournages de films. Très vite, il est rejoint par Lucienne Chevert. En 1937, le Studio Lévin déménage rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le portrait du Studio Lévin de la fin des années 1930 repose avant tout sur une technique issue des plateaux de cinéma où débutent puis opèrent régulièrement Sam Lévin et Lucienne Chevert. À la Libération, l’atelier s’agrandit adjoignant au studio une photothèque et un laboratoire. Un salon est aménagé pour permettre l’accueil des acteurs, chanteurs et modèles qui viennent confier leur image à ce qui est devenu l’un des plus célèbres studios de la capitale. D’emblée, le studio se caractérise par sa clientèle presque exclusivement faite de personnages connus ou en passe de le devenir : peu d’anonymes, quelques mannequins, mais surtout des acteurs et des comédiennes. Car le cercle qui entoure Sam Lévin et Lucienne Chevert est avant tout celui du spectacle : le cinéma et ses stars puis la chanson et ses vedettes. Lesquelles, dans les années 1960, seront elles aussi, propulsées au rang des personnalités les plus en vues.
Bientôt ce sera toute une génération de chanteurs qui se présentera devant l’objectif du fameux studio. Le succès du studio de la rue du Faubourg Saint-Honoré permet en 1967 à Sam Lévin, s’associant avec des financiers, d’ouvrir de gigantesques studios à Boulogne-Billancourt : les Studios internationaux de photographies.
Sam Lévin et Lucienne Chevert sont très tôt reconnus pour leur talent.
L’esthétique de leurs photographies présente à ses débuts de nombreuses similitudes avec les films de l’époque. Proposant un accord subtil d’ombres et de lumière ; des visages sublimés par des nuances douces de noir et blanc ; des corps modelés à l’aide d’ambiances diffuses, de touches lumineuses, de fonds sombres ou rayonnants. Pour autant, leur style ne cessera d’évoluer. De la sobriété raffinée du cliché noir et blanc, le studio est passé, au lendemain de la guerre, à la couleur. Quelques années plus tard, il exploite avec délice l’éventail chromatique de la décennie “yéyé” puis adopte l’exubérance acidulée du disco. Au sublime et à la magnificence figée, il préfère bientôt l’éclat du mouvement : le portrait doit être vivant, plus proche des lecteurs et des collectionneurs de têtes d’affiches.
En expérimentant de nouvelles tonalités, de nouveaux décors et de nouvelles formes d’éclairages, puis en se conformant à de nouveaux codes, le studio Lévin affirme sa manière propre. Demeure toutefois une constante : un certain dépouillement. Même dans les poses les plus fougueuses, même dans les mises en scène les plus éloquentes prédominent une économie de moyens et une forme de minimalisme.
De plus, en s’appropriant les codes des différentes époques (comme ces décors factices représentant un mur de pierre, un ciel nuageux ou encore la colline Montmartre et sa basilique du Sacré-Cœur) et en les détournant de leur usage premier, la fantaisie de Sam Lévin et de Lucienne Chevert cherche à rendre évidente la singularité des hommes et des femmes qu’ils photographient. La prise de vue est donc affaire d’échanges. Une place est laissée à l’improvisation et au jeu. À l’artifice et au geste qui révèle le personnage fictif ou réel. On passe de l’emphase théâtrale à l’abandon faussement candide et instantané.
Mais en metteurs en scène avisés, les photographes gardent jalousement le contrôle de la séance. Le plan rapproché nous fait pénétrer dans l’intimité du visage, dans l’éloquence du regard. Le plan large permet au corps de bavarder. Le sourire se meut en enchantement, le geste convoque la séduction, la séduction glisse vers le rêve. Le modèle est un thème autour duquel s’inventent des variations d’angles, de distances et de lumières. Rien d’étonnant alors à ce que, dans le studio LEVIN pendant plus de trente ans, se soient ainsi succédé tant de monstres sacrés. C’est là que s’est façonnée l’image de la célébrité. Que s’est élaboré, dans un univers fictif baigné de lumières artificielles, “LE” portrait que nous regardons, aujourd’hui encore. Celui du visage d’Ava Gardner, de Martine Carol, de Gina Lollobrigida, de Claude François et notamment celui de Brigitte Bardot (que Sam Lévin suit pendant toute sa carrière). “LE” portrait, qui sera vendu sous forme de cartes postales et de posters, après avoir illustré les pages des magazines.